Projet Féminin / Féminine

Hélène de Montgeroult, ETUDE N°36

Regards croisés entre l’étude de Montgeroult et le final de la sonate pour pianoforte en la mineur de Mozart

A travers deux principes de composition mis en évidence chez plusieurs compositrices dans le cadre du projet « Féminin / Féminine », le ralentissement et l’entrecroisement des voix, nous proposons un parallèle entre l’Etude 36 d’Hélène de Montgeroult et le 3ème mouvement de la sonate en la mineur de Mozart.

Contexte, hypothèse d’une rencontre

Le 23 mars 1778 Mozart arrive à Paris. C’est son 3ème séjour, il espère se faire inviter dans divers salons pour jouer, et obtenir des commandes. Afin de subvenir à ses besoins, il donne des cours de pianoforte et de composition. Montgeroult est aussi à Paris, elle a alors 14 ans. Elle impressionne déjà par son talent : lorsqu’elle n’en avait 13, son professeur Nicolas-Joseph Hüllmandel, élève de Carl-Philip Emmanuel Bach, a dit d’elle qu’il n’a plus rien à lui apprendre, qu’elle l’a dépassé. Montgeroult, comme Mozart, jouait dans des salons.
Dans ce contexte, il est tout à fait possible que, sachant Mozart à Paris et apprenant qu’il donne des cours, Montgeroult ait souhaité en prendre avec lui. Si tel a été le cas, Montgeroult étant réputée pour ses qualités d’improvisatrice aurait forcément eu un véritable échange musical avec Mozart et cet échange aurait pu tourner autour des thèmes constituant ses œuvres en cours de composition, comme par exemple le final de sa sonate en la mineur, datant de cette époque. Mozart l’aurait composée dans le contexte particulier de la mort de sa mère, et de la réaction culpabilisante de son père. Les similarités sont nombreuses, la version Montgeroult est comme une version ralentie :

Ci-dessous une juxtaposition de la sonate de Mozart et de l’étude de Montgeroult, plusieurs correspondances sont figurées en lien avec l’analyse effectuée en cours :

Ci-dessous l’étude enregistrée par Myrrha Principiano de la classe de Natalia Valentin au CMA11, alignée avec la partition de Mozart. Le suivi de partition est partiellement effectué sur les deux œuvres en même temps.

Singularité de la partition

Une singularité de l’œuvre de Montgeroult concerne les croisements qui mettent en œuvre comme un processus de tissage : mesures 20 à 25 on observe une tresse contrapunctique sur l’harmonie du premier thème, sans sa partie mélodique, avec un rappel du rythme de l’accompagnement au début. L’alternance des croisements représentés ci-dessous en bleu et rouge, fait apparaître deux voix supplémentaires si on relie les notes du haut et celles du bas entre elles. Celle du haut par exemple, fera apparaître le chant fa do fa sib sol lab dans les deux premières mesures :

soprano :
alto :
Résultat :

Dénouer les tresses :

 Soprano seule :  Alto seule :  Soprano + alto :

Tresse complète, soprano, alto et basse :

Mise en évidence des « tresses » par l’orchestration

En attribuant des instruments aux timbres très différenciés aux différentes voix, il est possible d’entendre les croisements, ce qui est impossible avec un même timbre, comme c’est le cas lorsque l’étude est exécutée sur un pianoforte. Dans l’expérience ci-dessous, la partition a été modifiée pour entendre deux fois chaque tresse, avec les mêmes instruments, puis avec des instruments différents :

Documents pouvant être téléchargés en ligne :

• toutes les lettres de Mozart sont sur Gallica dans la traduction d’Henri de Curzon : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96320q/f3.image.r=lettres%20de%20mozart (le troisième voyage à Paris commence page 216).

• Article sur le 3ème séjour parisien de Mozart :
Annales historiques de la Révolution Française n°379, janvier-mars 2015 : Nouvelles perspectives pour l’histoire de la musique (1770-1830)
Le rendez-vous manqué entre Mozart et l’aristocratie parisienne (1778) par David Hennebelle. En ligne :
https://journals.openedition.org/ahrf/pdf/13415